-On va changer de maison ma chérie.
-Encore!

Voilà dans quoi je fus bercée durant toute mon enfance. Le bonheur de déménager chaque année. Mon père était réparateur de voitures de courses, il remplaçait les moteurs et je l'aidais. Déjà petite j’apprenais à ne pas trop m'attacher à une ville, on ne pouvait pas dire que j'étais une solitaire au mécanisme de défenses hyper développé... En fait si. Je n'ai jamais aimé fréquenter les filles jouant à la poupée et ne voulant pas se salir, donc la plupart du temps je traînais avec des garçons. Ce qui ne changea pas avec le temps. J'appris au fil des déménagements qu'il ne valait mieux pas tomber amoureuse, déjà car je savais ce dont étaient capables les gars et surtout qu'il était mieux pour moi que je ne subisse pas une rupture, ce qui soit dit en passant ne m'aurait pas vraiment touchée, mais mon père ne cessait de me dire que j'avais le temps et que je n'avais aucuns moyens de construire une relation stable. A y réfléchir à sept ans je ne vois pas où était le danger.
Je passais mes journées dans le cambouis du garage de mon père, les mains dans le capot d'une voiture. J'aurais peut être été différente si je n'avais pas baigné dans le monde de la mécanique, si ma mère avait survécu à sa maladie. Elle mourut avant mes deux ans, me laissant à un père désemparé. Tout ce qu'il me reste d'elle c'est une photo à sa remise de diplômes à Harvard. J'ai toujours voulu aller là bas, étudier dans les même bâtiments. Dès gamine, je me promis d'y aller.



-Nouvelle?
-J'ai oublié de l'inscrire sur mon front?

La blondasse perdit son sourire. Je n'avais pas l'habitude de me faire remarquer dès mon arrivée mais le comité de bienvenue laissé à désirer. Le gars à côté d'elle me lança un sourire amusé avant de me regarder amicalement. Je me demande encore ce qu'il lui avait prit de draguer une idiote de ce genre. Kyhan Addams. Plus précisément le premier à m'avoir touchée. Je me souviendrais toujours de cette nuit sur la plage. Malgré ce détail je ne voulais pas d'un copain. Pourquoi perde son temps avec un concept lorsqu'on peut s'amuser? Pour moi c'est une cage, se retenir de faire quelque chose parce que soit disant on est en couple. Je ne dis pas que c'est mal, mon père a vécu des moments supers avec ma mère, mais seulement que ce n'est pas pour moi. Je passais une année formidable avec lui. Nous étions comme inséparables. Lorsque je voulais m'éclater, on sortait et parfois on finissait la nuit ensemble. Même si quelques sentiments existaient je ne changeais pas d'avis. La fin de l'année arriva et je dû partir comme j'étais venue. Je restais en contact avec Kyhan durant un an jusqu'au jour où il ne répondit plus. J'appris plus tard qu'il avait perdu sa mère, ce dont je compris très bien cet éloignement. Je continuais ma vie de mon côté.



- Tu pourrais aller à Princeton, ils ont un bon cursus d'architecture...
-Qu'est-ce que tu veux dire? Où est passé l'argent pour la fac?!

C'est comme ça que j'appris que je pouvais pas intégrer l'université de mes rêves. Mon père avait de plus en plus de mal avec son boulot, les dépenses se faisaient de plus en plus fortes et le profit de plus en plus bas. Mon projet d'avenir partit en fumé. Adieu Harvard. Adieu l'espoir de toute une vie.
Je m'inscris alors pour Princeton. Ça ne valait pas quatre années dans la meilleure université d’Amérique, mais c'était déjà ça. Je passais deux ans dans le plus grand bonheur, enfin j'apprenais vite et l'architecture ne serait plus un secret pour moi. Je laissais les cheeleaders et leurs footballers dans leur coin, me faisant discrète et me rapprochant plus des fêtards. J'étais bien et même si j'étais déçue de ne pas étudier dans une université digne de ce nom, je me faisais à l'ambiance de Princeton.
Il y a environ un an, je commençais à avoir de douleurs abdominales et j'étais très fatiguée malgré le fait que je sortais moins, et que je dormais plus. Je m'étais alors rendue à l'hôpital et avais passé quelques examens. Je m'inquiétais un peu et je préférais quand même tout plaquer. Je quittais Princeton, je quittais mon père, je quittais ma vie enfin posée à la fac, je quittais surtout ce rêve qu'une fois de plus j'abandonnais. Je quittais l'espoir d'un jour dessiner des grattes-ciels, des monuments et autres bâtiments.
Je partis pour Cambridge et même si Harvard soit toujours fermé pour moi, je m'installais dans cette ville trouvant un boulot dans le karting du coin. Retrouvant mon monde de voitures.




-Mademoiselle Wilson Joyce?
-Oui. Mais appelez moi Jo.

Je venais chercher mes résultats. J'avais un peu d'appréhension mais lorsque je vis Kyhan dans sa blouse blanche de médecin, j'en oubliais presque pourquoi j'étais là. Je le pris dans mes bras comme je le faisais toujours et je m'écartais doucement. Je le vis perdre son sourire.

-Ça va être dur de te dire ça.
-Parles, j'ai quoi? Un virus ou un truc du genre?
-Non... Tu vas mourir du cancer du côlon.

A ce moment là, j'avais presque envie de la frapper de toutes mes forces. Pas par rapport au cancer, non mais à la façon donc il me l'avait dit, comme si c'en était finit de moi, comme si ma vie s'arrêtait là. Je m'étais énervée contre lui avant de quitter le service.
J'allais pas mourir. J'avais un p*tain de cancer mais j'allais pas mourir. Et même si tout était perdu, je n'arrêterai pas de vivre à fond avant que mon cœur se taise.
J'ai commencé une chimio avec Kyhan, je sais pas franchement dans quoi je m'embarque, mais autant mettre toutes les chances de mon côté. Pourtant je vois déjà de loin à quoi va ressembler ma vie dans quelques mois, quelques années. Je me vois, chauve, attendant mon tour à la chimio. Assise entre quatre murs blancs, chaque semaine, chaque mois. Je ne veux pas de ça. Pas de manège tous les jours, je ne veux pas d'une cage.
Pendant des années, je n'ai pas voulue de couple mais maintenant me voilà attachée à un cancer. Je ne me priverais pas de mes plaisirs, de mes courses de voitures, de mes soirées trop alcoolisées. De mes activités parfois frôlant l'extrême.
J'ai pas peur de ce truc. J'ai pas peur de mourir enfin peut être que oui, mais en tout cas c'est pas demain que ma vie se stoppe, alors j'ai encore le temps de m'amuser et je suis prête à tout, même abandonner la chimio pour profiter.
Les hôpitaux, les médecins, les patients, les malades, les salles d'attentes, les blocs, les perfs... Tout ça... C'est pas moi.