C’est la nuit. Nous sommes à Cambridge, une chambre est plongée dans les ténèbres, la jeune femme dort dans son lit depuis plusieurs heures déjà. Il est à peine 4h du matin, ce qu’elle ne sait pas, c’est que sa nuit va être raccourcie de plusieurs heures. Ça y est, la voilà qui sursaute dans son lit, ses yeux s’écarquillent, elle est réveillée. Elle tremble. Elle ne contrôle plus son corps. Ce n’est pas la première fois qu’elle fait ce cauchemar, depuis le temps, elle le connait par cœur, chaque nuit elle revit ce fameux jour, revoyant dans ses songes les moindres détails de cette journée qui a brisé sa vie.

Il y a les gens qui passent au-dessus des évènements douloureux de leur vie sans trop de soucis, ils avancent sans se soucier du passé, ils se contentent d’être heureux, de vivre et de prendre ce que la vie leur donne, et il y a les autres, les gens qui, comme Cappie-Rose, restent bloqués avec leurs souvenirs, ils les ressassent sans cesse au point de ne plus pouvoir voir que part eux, ils se font du mal volontairement en repensant à tout ce qui les a blessés un jour, sûrement sont-ils un peu masochistes au fond.

Cappie-Rose ferme à nouveau les yeux, elle essaye de chasser les détails de son esprit, les détails de cet affreux cauchemar qui la hante depuis de longs mois déjà, les éclairs, le bruit, le choc, l'accident ... Le temps passe, il s’écoule peu à peu et pourtant ces souvenirs restent limpides. Elle aimerait oublier, elle donnerait tout pour oublier, mais chaque nuit, ses songes la ramènent à la triste réalité qu’est devenue sa vie, elle le sent, elle le sait, jamais, oh non, jamais elle n’oubliera.

Il est 4h du matin, et pourtant, elle sait qu’elle n’arrivera pas à se rendormir, c’est tous les jours la même rengaine, toutes les nuits le même refrain, et pourtant ça fait déjà plus d'un an, alors elle rouvre ses yeux, elle se laisse le temps d’émerger encore un peu et elle se lève, prenant soin de ne pas faire trop de bruit et d’ainsi laisser dormir ceux qui le peuvent encore, ce n’est pas parce que sa nuit a été écourtée qu’elle doit en faire de même avec celle des autres n’est-ce pas ? Ses gestes sont rapides, précis, poussés par la force de l’habitude. Un élastique passé dans ses cheveux, un pantalon en toile enfilé et un t-shirt propre pour remplacer celui de son frère dans lequel elle dort. Ses baskets chaussées, elle est fin prête pour commencer sa journée.

Elle court, elle court à en perdre haleine, elle court à n’en plus sentir ses jambes, à n’en plus sentir son corps tout entier. Elle a le souffle coupé, c’est tout juste si elle parvient encore à respirer, à reprendre son souffle, mais ces moments sont les seuls lors desquels elle ne pense pas, alors elle continue de courir, elle ne s’arrête pas, pas avant d’être à bout, pas avant de s’être complètement vidé l’esprit. Pas avant de tout oublier, l’espace de quelques minutes au moins.

La journée ne fait que commencer et pourtant Cappie-Rose est déjà lasse. Depuis qu'elle est de retour à Cambridge, ces dernières semaines n’ont été qu’un éternel recommencement empli de sourires faux et de rires forcés, aujourd’hui ne fera probablement pas exception à la règle. Mais il faut qu’elle vive, puisqu’elle a cette chance que d’autres n’ont pas. Il faut qu’elle profite puisque personne ne le fera à sa place. Alors elle rentre chez elle une fois sa course terminée, et elle se prépare pour aller travailler, à la WMF, c’est là qu’elle travaille depuis qu'elle est de retour en ville, l’art, la musique, tout ça, ça l’a toujours attirée, au plus grand bonheur de son père qui n'a jamais voulu la voir reprendre le cabinet familial. Ça tombe bien, ce qu’elle veut, ce n’est pas rester enfermée dans des bureaux, elle veut vivre, aimer, elle veut voyager, voir du pays, partir à l’aventure si ça lui chante. Non, jamais elle ne sera avocate. Ce n’est pas pour elle, ce n’est pas son destin, tout ça, ça ne lui ressemble pas. Elle laisse volontiers les postes à responsabilité à son jumeau, son double, elle le voit tellement mieux là-dedans qu’elle après tout. Alors certes, elle n'a pas forcément le job le plus épanouissant au monde, parce que bon, il faut avouer qu'être une simple assistante n'a jamais été son rêve, mais il faut bien commencer au bas de l'échelle si l'on veut un jour s'élever, non ?

Ça y est, elle est fin prête, une nouvelle journée est sur le point de commencer, le jour se lève tout doucement sur Cambridge, et si les journées de Cappie-Rose sont sans cesse les mêmes, elle ne perd pas espoir, un jour, sa vie à elle aussi redeviendra rose.